13 mars 2021

De tout temps, les matchs entre l’Angleterre et la France ont toujours
suscité un intérêt dépassant largement le cadre sportif. En effet, les relations conflictuelles du passé entre ces deux nations, qui se sont violemment
combattues pendant des siècles, restent toujours ancrées dans la mémoire
collective populaire.


Pourquoi le « Crunch » ?
C’est à l’occasion du France-Angleterre disputé le 21 mars 1981 que le
journal quotidien irlandais The Irish Times titre « the crunch ». Cela peut se
traduire par « moment crucial ». C’est bien le terme idoine qui convient à ce
match disputé à Twickenham, car les deux équipes se rencontrent pour la
victoire finale du tournoi des Cinq Nations. Emmenés par leur capitaine JeanPierre Rives, les Français sont vainqueurs 16 à 12, remportent le tournoi et réalisent le grand Chelem. Depuis, ce mot qualifie les rencontres entre le Coq et la Rose à l’occasion desquelles on souhaite évoquer l’opposition acharnée et ancestrale qui divise depuis des siècles les deux nations.

Le dernier match avant l’enfer
Le 13 avril 1914, au stade de Colombes dans le cadre du tournoi des Cinq
Nations, l’équipe de France rencontre celle d’Angleterre. Personne ne
soupçonne que ce match est le dernier avant la brutale interruption des années de guerre. Il n’y aura aucune autre rencontre officielle pendant cette longue période entre les deux nations. Il faudra attendre le 31 janvier 1920 et la relance du tournoi pour, à nouveau, voir s’affronter ces deux équipes. Les Anglais seront vainqueurs les deux fois : 39-13 et 8-3.

L’engagement des rugbymen anglais dans la guerre de 1914-1918
Si, à la déclaration de la guerre le 3 août 1914, de nombreux joueurs
français vont être mobilisés et s’engager résolument dans la défense de la France, dans les pays alliés c’est avec la même détermination que les rugbymen vont venir combattre sur le sol français. On peut lire sur une affiche britannique que 90% des rugbymen se sont déjà engagés, ainsi que tous les internationaux.
La Rugby Football Union comptant plusieurs officiers supérieurs dans ses instances dirigeantes, on envisagea même très officiellement, mais sans succès, de monter un bataillon exclusivement composé de joueurs de rugby.


L’influence britannique sur l’évolution du sport français
Malgré l’horreur des combats et pendant toute la durée du conflit, les
soldats n’ont cessé de pratiquer, entre deux assauts, divers sports dans la zone du front. D’abord d’une façon spontanée chez les Poilus, cette activité va ensuite être fortement influencée par les Alliés. Cette osmose, associée à la durée du conflit, va générer une initiation massive de nombreux combattants. Les compétitions se multiplient et, dès 1915, apparaissent les premières rencontres interalliées.


Les Crunchs entre 1914 et 1918
De nombreuses rencontres entre équipes civiles françaises et soldats
anglais ont lieu. Ainsi au Mans, dès octobre 1914, l’équipe anglaise de
l’Advanced Remount Depot est opposée à une sélection régionale. À cette même date, c’est à Angers que des militaires anglais et une sélection du Maine-et-Loire se retrouvent autour du ballon ovale. En novembre 1916, c’est le club parisien du Stade Français qui affronte à son tour une équipe militaire anglaise. En février 1918, les Poilus emmenés par les internationaux Maurice Boyau et Géo André gagnent 15-14 face aux « Tanks » anglais.


Le coût humain
Le 11 Novembre 1918, grâce à leur engagement total dans le conflit, les
forces alliées sont victorieuses, mais le coût en vies humaines est effroyable. Les Britanniques avec les Australiens, les Canadiens, les Hindous, les Sud-Africains et les Néo-Zélandais ont engagé 9 500 000 hommes et comptent 744 000 morts.
Un nombre important de tous ces tués repose en France dans de nombreux cimetières et nécropoles. L’association Commonwealth War Graves Commission s’occupe toujours pieusement et efficacement des tombes et de la mémoire de ces hommes.


Le lourd tribut du rugby
À tous les niveaux de la hiérarchie sportive, les équipes déplorent un
nombre important de joueurs morts aux combats. Plus que tout autre sport, le rugby est touché cruellement par les tueries de la guerre. Le nombre d’internationaux tués est éloquent : 27 Anglais, 9 Australiens, 30 Écossais, 24 Français, 11 Gallois, 9 Irlandais, 12 Néo-Zélandais, 4 Sud-Africains. Symbole de ces rugbymen morts pour la France, Edgar Roberts Mobbs est tué le 31 Juillet 1917 à Zillebeke. Capitaine de l’équipe anglaise, son corps ne sera jamais retrouvé. Afin d’honorer sa mémoire, un trophée portant son nom est disputé annuellement, alternativement à Northampton et à Belford.


L’influence britannique sur le sport français
Par la différence de leur concept philosophique et de leur vision
personnelle du sport, les Britanniques vont influencer et dynamiser chez les Poilus la pratique de l’activité physique. Ces éléments permettront d’amener, dès la fin du conflit, les conditions favorables à une large diffusion dans toute la France de cette étonnante culture de guerre. Grâce à cette forte influence et à d’autres éléments, la guerre de 1914-1918 peut être considérée comme le creuset du sport français.

Victoire historique
C’est lors du match comptant pour la dernière journée du Tournoi des
cinq nations que le 2 avril 1927 à Colombes, emmené par leur capitaine Adolphe Jauréguy, le XV du Coq remporte par 3-0 sa première victoire sur le XV de la Rose. C’est Edmond Vellat qui marque l’essai permettant aux Bleus d’entrer dans l’Histoire.


Conclusion
Toujours à la recherche du sensationnel pour vendre plus de journaux, une certaine presse n’hésite pas à grossir et même déformer les évènements. Cela explique la publicité faite autour du « crunch ». Si l’Histoire entre la France et l’Angleterre s’est écrite par le passé au travers d’incessants affrontements sur des champs de bataille, il semble bien malséant de prendre aujourd’hui le sport en otage afin de ranimer les haines du passé et ce, dans un but mercantile. « Le rugby, c’est l’histoire d’un ballon avec des copains autour et quand il n’y a plus de ballon, il reste les copains ». Cette phrase de Jean-Pierre Rives résume magnifiquement la vocation du sport dont la vertu essentielle est d’être un vecteur de paix universelle.
Le sport n’est pas la guerre.


Michel MERCKEL
Historien du sport et spécialisé dans l’histoire
de la Grande Guerre et du rugby